dimanche 10 novembre 2013

Insaisissables rythmes


Bon, on s'était jusqu'ici retenu. Mais c'est à ne plus résister. Le monde de l'éducation se paye un beau psychodrame national, un de plus, dont la France a le secret. Et l'on aura réussi à stigmatiser une évolution qui relève, à l'examen, du simple bon sens : les journées scolaires sont trop longues et il faut les raccourcir.

A partir de là, plus rien ne va. C'est trop évident, pas assez idéologique, pas assez conflictuel. Alors rajoutons-en, des arguments bidons, des exagérations de toute sorte. Instrumentalisons, instrumentalisons : il en restera toujours quelque chose.



Mais à qui la faute ?

D'abord à ceux qui, chargés de conduire la réforme, ne l'ont apparemment ni comprise, ni lue, ou plutôt défendent une réforme qui n'est pas celle qu'il s'agit d'appliquer. Ministre en tête, qui affirme sans vergogne que les fameuses activités péri-scolaires seront offertes à tous les enfants et gratuitement. Mais où a-t-il péché ça, puisque les maigres dotations non pérennes inscrites dans les textes actuels sont sans rapport avec les sommes qui permettraient de compenser pour de vrai la création de ces nouvelles charges pour les communes, les rendant du coup obligatoires ?

Ensuite, sans doute à quelques uns de ceux qui se sont précipités tête baissée dans le dispositif pour une application dès cette rentrée, conduisant à des aberrations indéfendables et sans doute minoritaires, au moins faut-il l'espérer. Au nom de la solidarité entre camarades socialistes, ce dont les familles se moquent pas mal, et les enfants encore plus.

Enfin, aux opposants qui s'opposent, mais c'est après tout dans leur nature. Sans toutefois oublier que c'est bien le Ministre Darcos qui est directement à l'origine de la dernière manipulation de la semaine scolaire.



Alors reprenons quelques éléments.

Premier élément : le Roi est nu. L'Etat est miséreux et incapable de manager correctement son million bien pesé de fonctionnaires de l'Education nationale autrement que par la diffusion de son "Bulletin Officiel".

Qu'il en tire toutes les conséquences : qu'il organise la définition concertée des objectifs à atteindre, qu'il assure leur bonne explication auprès de l'ensemble des partenaires concernés, grand public y compris. Pour une fois, ce n'est pas trop difficile.

Et puisqu'il laisse faire les pouvoirs locaux en conséquence. Ils ont appris depuis longtemps maintenant à organiser des activités périscolaires, merci pour eux. Autrement dit, qu'il fasse confiance, et qu'il ne contrôle que là où c'est nécessaire.

Au lieu de cela, nous avons affaire à un salmigondis de procédure porté par les Inspecteurs de l'Education nationale, qui ne disposent pas du début du commencement des moyens pour agir ou au moins aider les élus locaux - notamment en milieu rural - et peinent même à masquer l'ambiguïté de leur mission. Pourquoi organiser ainsi les choses ?

On passera sur l'affaiblissement de facto d'un Ministre qui n'a en tête que la préparation des prochaines européennes et n'assurera pas, à l'évidence, le service après-vente de "SA" réforme.

Deuxième élément : sans entrer dans les brillantes théories de tel ou tel chronobiologiste, on peut affirmer que le rythme quotidien n'est qu'un rythme parmi les autres, et qu'on laisse la question du rythme annuel en jachère. Alors qu'un quasi consensus était atteint sur la trop longue durée des vacances d'été. Pourquoi n'y a-t-il aucune expression institutionnelle sur la question ?


Troisième élément : nous sommes bien français, hélas, et en pédagogie aussi. 

Et nous voici en train d'inventer les usines à gaz qui vont ENCORE transbahuter les enfants en fin de journée d'intervenant en intervenant, d'activité en activité. Et en rajouter encore et encore, des contraintes, des contenus, des adultes responsables, alors que beaucoup d'enfants se trouvent déjà dans les accueils périscolaires à partir de 7 h 00 du matin chaque jour d'école...

Sans même mentionner les lieux où il faut sortir brutalement les enfants de maternelle de leur sieste pour "aller aux activités". 

Alors qu'il s'agirait d'abord de créer des lieux de vie, des cadres de relation, des modes d'intervention sécurisants, individualisés et conviviaux. Quand saura-t-on exprimer cela ? Quand saura-t-on enfin avoir ce respect de la personne enfantine, de ne pas repousser sa respiration quotidienne dans les seuls interstices de programmes d'activités bien trop denses ? Quand cessera-t-on enfin de technocratiser l'acte éducatif ?

Quatrième élément : le rythme biologique n'est pas un absolu. Certes, des éléments scientifiquement fondés existent quant aux rythmes biologiques des enfants. Pour autant, l'enfance n'est pas un empire dans un empire. Elle vit dans une société qui connait, elle, des rythmes autres.

Ainsi, dans une société où près de 50% des mariages se terminent en divorce, où la majorité des enfants naissent hors mariage (55% en 2012 dit l'INED), on ne peut pas vraiment ignorer les contraintes liées aux droits du parent qui n'a pas la garde permanente de l'enfant. C'est ainsi.

Pour finir, si cette réforme - une de plus pourrait-on dire - est l'occasion, enfin et authentiquement, d'instituer, partout où elle fait encore défaut, une démarche pérenne, ouverte et concertée de projet éducatif local, elle  sera alors pleinement  légitime, et, autant que possible, intelligente.

Mais il y a une condition à cela : que chaque acteur concerné fasse l'effort de regarder objectivement les conditions de vie des enfants dans notre société si moderne, et n'instrumentalise pas le débat à son profit.

C'est le moindre du respect du aux enfants dans une société qui chahute tant leur vie de tous les jours.

Nota : Les illustrations sont piquées à Jack Koch, enseignant-dessinateur, pour sa vision tendre de l'école et des enfants.http://dangerecole.blogspot.fr