dimanche 20 octobre 2013

Médiocrité



La nostalgie n'est pas un exercice gratifiant et le "C'était mieux avant" est toujours suspect du point de vue de l'efficacité théorique et plus encore pratique.

Et pourtant, il va falloir selon toute apparence, définitivement et une bonne fois pour toutes, en prendre son parti et se faire une raison : le champ politique est médiocre et le progrès n'est plus en acte.

Le champ politique est médiocre : la faute à qui ? A-t-on les dirigeants que l'on mérite ? Le populisme ambiant, largement amplifié par des médias racoleurs et superficiels, est-il inéluctable ?

Non et non. Aucun dirigeant ou aspirant à le devenir n'est forcé à la démagogie. De même, aucun responsable politique ou leader d'opinion n'est contraint de renoncer à faire appel à l'intelligence de ses interlocuteurs. Intelligence immense - dans des sociétés qui investissent tant de moyens dans leur système éducatif, on peut en faire légitimement le postulat - mais qui est utilisée à l'évidence désormais ailleurs que dans le champ politique.


Alors que se passe-t-il ?

Peut-être l'économie a-t-elle désormais créé un niveau de pression suffisant auprès du politique pour décourager de sa part toute affirmation de valeurs, tout énoncé structuré sur les principes du vivre ensemble, tout objectif intelligent à proposer à la population. Quel dirigeant ou opposant actuellement en vue en est capable ? Aucun. Et ceux qui en sont capables, où sont-ils ?

Peut-être la diversification des sociétés européennes a-t-elle aussi élevé le niveau des défis à relever pour organiser le "vivre-ensemble" et en troubler les stratégies traditionnelles. A cet égard, la sous-représentation  politique de cette diversité est une véritable catastrophe, et l'évolution des mentalités sur cet aspect si peu palpable. 

Mais l'observation au quotidien de la population conduit à conclure que les élites dirigeantes sont définitivement très en retard sur les mentalités. C'est aussi grave : en n'envoyant pas les signaux qui légitiment ces avancées et les encouragent, elles se claquemurent dans une image totalement obsolète de la société, et, surtout, surtout, laissent le champ libre à tous les extrémistes. Lourde responsabilité, qui relève de la trahison des élites déjà évoquée ici.

On ajoutera pour mémoire le phénomène aggravant qu'est l'arrivée aux manettes d'une génération de jeunes politiques, de tous bords, élevés dans le cocon des appareils politiques, n'ayant jamais exercé aucun métier, et qui ne se sont jamais frottés aux problématiques concrètes de la population ni à l'épaisseur de la réalité. Ils agissent - et comment peuvent-il faire autrement ? - selon leurs propres représentations politiciennes et non selon une image complète et authentique de la réalité sociale.

On passera aussi sans développer - facteur aggravant pour la France - sur un régime quasi-monarchique où un seul homme est capable de dire "je" en permanence en s'adressant à ses mandants.  Dans quelle autre société moderne parle-t-on ainsi ? Aucune.


Le progrès n'est plus en acte. Les générations nées au milieu du XX° siècles sont les héritières directes des trente glorieuses, et ont été nourries depuis leur tendre enfance par la notion de progrès : progrès social, économique, culturel... Progrès pour tous, qui s'agissait de partager le plus équitablement possible.

Cette idée conditionne encore largement nos comportements, nos réflexes politiques, nos pratiques collectives.

Pourtant, il faut se rendre à l'évidence : ce socle est ébranlé au point qu'il n'a plus d'efficacité. Chaque jour l'évolution des sociétés européennes en donnent les nombreux indices patents : remise en cause des acquis sociaux fondamentaux, recul du périmètre des services publics, dégradation générale des relations à la population, technocratisation des procédures, déshumanisation et précarisation des relations de travail ou de commerce, exacerbation de la compétition entre individus dont la télé-réalité n'est que le symptôme le plus évident.

Alors, que nous est-il permis d'espérer ?

D'abord, un contre-effet de ces évolutions conduit la société à une résistance accrue aux injonctions verticales, de plus en plus souvent aberrantes, mal pensées, mal calibrées, mal comprises au mieux.

Cette démobilisation et ce scepticisme est source d'individualisme, de repli sur la sphère privée et de comportements marginaux, mais ils protègent aussi les populations contre les aberrations et les usines à gaz produites par la superstructure dirigeante. Les conjurateurs dont il était question la dernière fois ici relèvent de cette logique.

Ensuite, le niveau de formation de notre société est énorme. L'intelligence collective potentielle disponible est énorme, dans tous les domaines - hors le politique, on l'a vu : scientifique, technique, esthétique, urbanistique, culturel etc. La capacité d'adaptation d'une société comme la nôtre devant tous les défis qui lui sont présentés est donc potentiellement immense, pourvu qu'on lui fasse confiance.

Enfin, il faut bien continuer d'organiser la vie collective, de proposer des objectifs à partager, des challenges collectifs en utilisant toutes les expertises disponibles - y compris l'expertise citoyenne. Quel est le bon endroit, le bon niveau, pour le faire ? Ce n'est sans doute plus dans les appareils traditionnels, figés dans leurs formes et leurs lourdeurs qui n'aboutissent qu'à exclure ceux qui ne constituent pas leur public traditionnel. Ce n'est pas non plus dans les institutions stricto sensu de tous niveaux, qui doivent réviser toutes les procédures et ne pourront pas y parvenir en vase clos.

Sans doute pas les outils de l'internet : ceux-ci aident énormément, mais produisent le meilleur et le pire - c'est la contrepartie de leur liberté d'utilisation à laquelle il faut peu toucher si on s'appelle démocratie.

Peut-être les initiatives plus marginales mais si nombreuses. Et, dans une société sursaturée d'idéologie et à qui l'on a  tout promis, un mot les rassemble : proximité.

Quant à rassembler les proximités et reconstruire sur cette base, nous n'en sommes pas là encore... et sans doute quelques bonnes dizaines d'années seront nécessaires pour cela. Mais pour organiser, dès demain, à la première occasion, la rencontre des légitimités, les discussions hors cadre convenu, les approches transversales avec tous les acteurs concernés, il ne tient qu'à la volonté !