samedi 16 novembre 2013

Sagas scandinaves : vive Luther !



La fin de la lecture de la trilogie suédoise Millenium de Stieg Larson, la fin également de la saison 3 de la série danoise Borgen (le Château) nous rapprochent d'un seul coup de la lointaine Scandinavie.

Lointaine au sens politique bien évidemment plus que dans la géographie. Nous sommes dans une Europe luthérienne habitée par un rêve vertueux de transparence et de respect de la personne humaine, et dont la vie collective est faite de recherche de compromis, de tours de table, de débats publics largement ouverts à toutes les composantes de la société. Bref, tout l'opposé  de la très latine et très catholique France.

Et pourtant, les défis sont les mêmes : héritage colonial, diversification de la population - d'autant plus évidente que ces peuples sont longtemps restés entre eux par leur géographie, affaiblissement des valeurs collectives, difficultés économiques, remise en cause des systèmes sociaux, montée des populismes...

Millenium, dans le genre du roman policier, expose une certaine face cachée de la Suède, qui fait d'autant plus scandale qu'elle contredit l'image même que les Suédois ont forgé de leur propre société. Borgen, dans le genre de la Chronique politique du Danemark, fascine par sa peinture des mœurs politiques à la scandinave, qui, à partir des mêmes gageures, trouvent des solutions pour les surmonter bien différentes, et combien plus séduisantes. A cet égard, les monarchies scandinaves sont bien plus républicaines que notre république monarchique.

Même s'il ne faut pas être trop dupe : la France n'est ni le Danemark ni la Suède, et on ne cultivera aucune nostalgie des gouvernements de marchands de tapis des 3° et 4° Républiques, dont certains ne passaient pas la journée. 



Mais, dans les deux genres, les questions fondamentales sont illustrées, exposées, détaillées : qu'est-ce qui autorise un être humain à exercer son pouvoir sur les autres ? A quelles conditions ? Cet exercice peut-il être vertueux ? Quelle est la frontière entre la personnalité privée et le personnage public ? Comment l'information de la population doit elle s'organiser ? Qu'est ce qui peut maintenir le vouloir vivre ensemble dans un ensemble humain ? A contraire, qu'est ce qui peut le menacer, y inclus dans le comportement des dirigeants ?

29 heures pour les 3 saisons existantes de Borgen, quelques 2 400 pages passionnantes pour la trilogie Millenium, sont une bonne mesure pour les explorer, et énoncer quelques réponses. Vive Luther.

dimanche 10 novembre 2013

Insaisissables rythmes


Bon, on s'était jusqu'ici retenu. Mais c'est à ne plus résister. Le monde de l'éducation se paye un beau psychodrame national, un de plus, dont la France a le secret. Et l'on aura réussi à stigmatiser une évolution qui relève, à l'examen, du simple bon sens : les journées scolaires sont trop longues et il faut les raccourcir.

A partir de là, plus rien ne va. C'est trop évident, pas assez idéologique, pas assez conflictuel. Alors rajoutons-en, des arguments bidons, des exagérations de toute sorte. Instrumentalisons, instrumentalisons : il en restera toujours quelque chose.



Mais à qui la faute ?

D'abord à ceux qui, chargés de conduire la réforme, ne l'ont apparemment ni comprise, ni lue, ou plutôt défendent une réforme qui n'est pas celle qu'il s'agit d'appliquer. Ministre en tête, qui affirme sans vergogne que les fameuses activités péri-scolaires seront offertes à tous les enfants et gratuitement. Mais où a-t-il péché ça, puisque les maigres dotations non pérennes inscrites dans les textes actuels sont sans rapport avec les sommes qui permettraient de compenser pour de vrai la création de ces nouvelles charges pour les communes, les rendant du coup obligatoires ?

Ensuite, sans doute à quelques uns de ceux qui se sont précipités tête baissée dans le dispositif pour une application dès cette rentrée, conduisant à des aberrations indéfendables et sans doute minoritaires, au moins faut-il l'espérer. Au nom de la solidarité entre camarades socialistes, ce dont les familles se moquent pas mal, et les enfants encore plus.

Enfin, aux opposants qui s'opposent, mais c'est après tout dans leur nature. Sans toutefois oublier que c'est bien le Ministre Darcos qui est directement à l'origine de la dernière manipulation de la semaine scolaire.



Alors reprenons quelques éléments.

Premier élément : le Roi est nu. L'Etat est miséreux et incapable de manager correctement son million bien pesé de fonctionnaires de l'Education nationale autrement que par la diffusion de son "Bulletin Officiel".

Qu'il en tire toutes les conséquences : qu'il organise la définition concertée des objectifs à atteindre, qu'il assure leur bonne explication auprès de l'ensemble des partenaires concernés, grand public y compris. Pour une fois, ce n'est pas trop difficile.

Et puisqu'il laisse faire les pouvoirs locaux en conséquence. Ils ont appris depuis longtemps maintenant à organiser des activités périscolaires, merci pour eux. Autrement dit, qu'il fasse confiance, et qu'il ne contrôle que là où c'est nécessaire.

Au lieu de cela, nous avons affaire à un salmigondis de procédure porté par les Inspecteurs de l'Education nationale, qui ne disposent pas du début du commencement des moyens pour agir ou au moins aider les élus locaux - notamment en milieu rural - et peinent même à masquer l'ambiguïté de leur mission. Pourquoi organiser ainsi les choses ?

On passera sur l'affaiblissement de facto d'un Ministre qui n'a en tête que la préparation des prochaines européennes et n'assurera pas, à l'évidence, le service après-vente de "SA" réforme.

Deuxième élément : sans entrer dans les brillantes théories de tel ou tel chronobiologiste, on peut affirmer que le rythme quotidien n'est qu'un rythme parmi les autres, et qu'on laisse la question du rythme annuel en jachère. Alors qu'un quasi consensus était atteint sur la trop longue durée des vacances d'été. Pourquoi n'y a-t-il aucune expression institutionnelle sur la question ?


Troisième élément : nous sommes bien français, hélas, et en pédagogie aussi. 

Et nous voici en train d'inventer les usines à gaz qui vont ENCORE transbahuter les enfants en fin de journée d'intervenant en intervenant, d'activité en activité. Et en rajouter encore et encore, des contraintes, des contenus, des adultes responsables, alors que beaucoup d'enfants se trouvent déjà dans les accueils périscolaires à partir de 7 h 00 du matin chaque jour d'école...

Sans même mentionner les lieux où il faut sortir brutalement les enfants de maternelle de leur sieste pour "aller aux activités". 

Alors qu'il s'agirait d'abord de créer des lieux de vie, des cadres de relation, des modes d'intervention sécurisants, individualisés et conviviaux. Quand saura-t-on exprimer cela ? Quand saura-t-on enfin avoir ce respect de la personne enfantine, de ne pas repousser sa respiration quotidienne dans les seuls interstices de programmes d'activités bien trop denses ? Quand cessera-t-on enfin de technocratiser l'acte éducatif ?

Quatrième élément : le rythme biologique n'est pas un absolu. Certes, des éléments scientifiquement fondés existent quant aux rythmes biologiques des enfants. Pour autant, l'enfance n'est pas un empire dans un empire. Elle vit dans une société qui connait, elle, des rythmes autres.

Ainsi, dans une société où près de 50% des mariages se terminent en divorce, où la majorité des enfants naissent hors mariage (55% en 2012 dit l'INED), on ne peut pas vraiment ignorer les contraintes liées aux droits du parent qui n'a pas la garde permanente de l'enfant. C'est ainsi.

Pour finir, si cette réforme - une de plus pourrait-on dire - est l'occasion, enfin et authentiquement, d'instituer, partout où elle fait encore défaut, une démarche pérenne, ouverte et concertée de projet éducatif local, elle  sera alors pleinement  légitime, et, autant que possible, intelligente.

Mais il y a une condition à cela : que chaque acteur concerné fasse l'effort de regarder objectivement les conditions de vie des enfants dans notre société si moderne, et n'instrumentalise pas le débat à son profit.

C'est le moindre du respect du aux enfants dans une société qui chahute tant leur vie de tous les jours.

Nota : Les illustrations sont piquées à Jack Koch, enseignant-dessinateur, pour sa vision tendre de l'école et des enfants.http://dangerecole.blogspot.fr