samedi 8 janvier 2011

Politique : le degré Zéro


Finalement, Platon, Hegel et Nietzsche ont peut-être raison tous ensemble.
Platon, parce qu'il a décrit dans La République comment la démocratie tourne inévitablement à la démagogie, et comment le démagogue devient inéluctablement Tyran. Hegel, parce que sa pensée explique comment l'histoire humaine dessine son sens progressivement tant dans les évènements du quotidien que dans les hauts faits des puissants. Nietzsche, parce qu'il a permis de dessiner, dans sa théorie trompeuse dite de l'éternel retour, la figure en spirale du temps humain : mouvement circulaire, mais se mouvant en même temps selon un axe linéaire, si bien que le point de retour n'est jamais le même.
Il est tentant d'utiliser toutes ces catégories pour expliquer ce qui arrive à la politique en ce moment dans les sociétés post-industrielles. En quelques mots : populisme, démagogie, communication tous azimuts, règne sans partage des "entourages" qui font écran à la réalité tout autant qu'ils prodiguent des conseils désastreux à leurs commanditaires, affaiblissement des fonctions électives, habillage purement verbal de réalités fort peu reluisantes, protestations d'intérêt collectif masquant en réalité les avantages accordés de manière systématique à une minorité de possédants toujours plus minoritaire, justification permanente de la mise en péril de tous les acquis culturels, éducatifs et sociaux au nom des impératifs économiques, anti-intellectualisme forcené, récupération des thèmes écolos quand cela arrange les intérêts privés favorisés au passage, mais oubli dans tous les autres cas, rentabilisation des amitiés personnelles par les moyens de la puissance publique... On en passe, et des meilleures.

"La présidence de l'UE, c'est où ?"
Sur la peau de bête : Hongrie.
Sur la femme traînée par les cheveux : liberté de la presse.
(source : courrier international)
En bref, le degré en dessous de zéro de la politique. Nous y sommes : France, Italie, Suède, Pays-Bas, Russie, Hongrie... Etats-Unis évidemment, entre l'ère Bush et les Tea-Party etc.
Après celle, globalement, des démocrates, voici l'ère des démagogues, inscrivant leur exercice politique dans un mouvement de dénégation méthodique des valeurs d'intérêt collectif, organisant la guerre de tous contre tous au lieu de récréer en permanence, comme les fondements de la politique le supposent, des champs d'égalité suffisants entre les citoyens pour permettre une vie collective pacifiée, respectueuse de ses différentes composantes identitaires, de la diversité des individus et se son environnement.
Bien plus que la nécessité de s'indigner - peu fertile en soi en effet - c'est une des dimensions essentielles de l'essai de Stéphane Essel, qui rencontre un si grand succès en France en ce moment, de pointer cette mise à mal systématique des acquis collectifs de la société française depuis la fin du dernier conflit mondial, et donc de mettre au jour ce mouvement vers le bas.


Ces dernières années nous auront donc permis d'inaugurer à l'évidence un cycle politique descendant dont nul ne sait combien de temps il va durer hélas. A l'échelle des sociétés humaines, il n'est pas sûr du tout que la plupart de nos contemporains adultes en connaîtront la fin. Et il faut se résigner à adopter cette désormais évidence : le progrès social n'est pas continu. Dur, dur, de s'habituer à l'idée de régression sociale, dans la quatrième ou cinquième puissance économique mondiale... Le faut-il, d'ailleurs ?
Illustration parmi tant d'autres aperçue ces jours-ci dans USA Today, pourtant vraiment pas suspect d'intellectualisme, à propos de Sarah Palin et d'un reportage sur elle particulièrement mièvre la mettant en scène en grande chasseresse dans son pays natal d'Alaska :
Tout cela serait de la télévision risible et très innocente si cela n'avait pas d'autres conséquences. Mais cette émission et sa présentation hagiographique de Palin est tristement emblématique de la vie politique américaine d'aujourd'hui.
L'Alaska de Sarah Palin, c'est de l'anecdote dénuée de toute substance. Et quand nos candidats peuvent tout aussi bien produire des pubs-marketing, des sites internet écrits par des nègres ou des discours préfabriqués sur les prompteurs - le tout financé par des fonds privés intéressés, les Américains donnent leur suffrage en fait à des personnages de fiction. Et il ne s'agit pas ici d'incriminer la seule Sarah Palin. C'est un système entier qu'il faut mettre en cause.
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This would all be laughable, harmless television if that's where this story ended. Yet this show and its veneered presentation of Palin is sadly emblematic of American politics today.

Sarah Palin's Alaska is just back story rather than substance. But when our candidates can also produce poll-tested commercials, trot out ghost-written websites and deliver telepromptered speeches — all financed by unlimited special interest money — Americans are essentially casting votes for fictional characters. This is not an indictment of one Sarah Palin. It's an indictment of the system.