Propos recueillis par Josyane Savigneau
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La République dominicaine a eu une histoire économique et sociale qui lui a permis de se mettre à l'abri de certains grands dérapages. La nation s'y est faite sous l'égide de l'Etat, contre Haïti, par la guerre. A Port-au-Prince, à l'inverse, on a assisté d'emblée, dès l'indépendance, en 1804, à un divorce entre l'Etat et la société.
L'Etat est héritier de l'administration coloniale, avec un mode de gouvernance qui n'a pas bougé : aux riches tous les bénéfices du travail, aucun service en retour pour les pauvres. Le paysan, ancien esclave, a été assigné à un double service : le travail de la terre et le service des armées. Les grandes propriétés étaient gérées sur un mode militaire. Les travailleurs, même salariés, étaient organisés en escouades. Le paysan haïtien, issu de l'esclavage, rêvait d'une liberté plus franche. Il n'a jamais adhéré au modèle de société proposé par son élite.
Le chaos actuel peut-il seulement enfoncer Haïti dans le malheur ou permettre un sursaut ?
Il y a quelques années, je disais à mes amis "On ne pourra jamais tomber plus bas" : la misère, la pauvreté, les catastrophes et la perte de l'indépendance. Car la présence de la Minustah, même si c'est une main secourable, attente à notre dignité. Aujourd'hui le pays tout entier est à terre, seuls nous ne pourrons pas rebondir.
Mais l'extraordinaire empathie manifestée par la communauté internationale est plus forte que pour d'autres catastrophes naturelles. Ce pays qui est entré dans l'histoire en démontrant le caractère universel des droits de l'homme y revient pour rappeler, à son corps défendant, l'universalité de la douleur, c'est la seule bonne nouvelle à tirer de ce séisme.