lundi 18 mai 2009

Chasse aux jeunes !


Ce matin sur France Inter, la chronique de Thomas Legrand a fait écho à un certain nombre de constats personnels : le fossé des générations n'a jamais été aussi profond, pour autant que quelques bons morceaux d'expériences sociales fort diverses et plutôt riches m'autorisent à le prétendre.

Les indices ne manquent pas, du jeunisme ambiant et démago des médias au "chacun dans sa bulle" encouragé par une société éclatée en tribus, morcellée, analysée en termes de parts de marchés, de "panels" d'usagers et autres segments opinionesques.

Il s'ensuit des relations interpersonnelles exclusives, fermées, limitées à ses stricts semblables et une communication minimale, basée sur le mensonge et la dissimulation, pour ne renvoyer à l'autre, à celui qui n'appartient pas à la tribu, qu'une image fausse, truquée, mensongère, assise sur les préjugés formés à son propos. D'où une quasi impossibilité de communiquer un tant soit peu authentiquement, particulièrement avec des gens jeunes et très jeunes, qui sont pétris de ces comportements, d'où des effets de générations ravageurs : "cass'toi t'es pas d'ma bande..."



Je ne peux mieux faire que de reproduire cette chronique, qui me semble receler quelques clefs intéressantes pour expliquer ce processus de déliquescence des relations sociales, où l'on fait comme si les jeunes n'avaient pas besoin des plus âgés pour agir, comme si les plus âgés n'avaient pas besoin des plus jeunes pour réfléchir...

Et encore : on est tous, toujours, le jeune (ou le vieux) de quelqu'un !

L'évolution de la place des jeunes dans le paysage politique.

Quand on observe de près les enquêtes d'opinion, il y a un risque que se creuse un nouveau fossé entre les générations. La catégorie dite « jeune » se différencie, de plus en plus de la moyenne nationale. La dernière livraison du baromètre de l'IFOP, publiée hier, en donne un nouvel exemple. Ce n'est qu'un détail, mais c'est le dernier : la popularité du président chez les 18/34 ans a baissé de 8 points alors que globalement, elle n'a baissé que de 2 points le mois dernier. Les sondages pour les élections européennes montrent que la différence de vote entre les tranches d'âge n'a jamais été aussi importante. Globalement plus à gauche mais, chez les 18/24, le FN fait 18%. 10 points de plus que la moyenne. L'élection présidentielle était la première du genre pour laquelle la différence d'âge a été le facteur le plus important. Plus important que la catégorie sociale pour déterminer l'intention de vote, c'était inédit. Les 60/69 ans ont voté à 61% pour Nicolas Sarkozy et la proportion monte à 68% au dessus de 70 ans. Ce sont les retraités qui ont fait élire le candidat de la France qui se lève tôt ! Une autre étude rendue publique par l'AFEV, (une association étudiante) révèle que 51% des Français ont une mauvaise opinion de la jeunesse. Ce jugement sévère traduit un fossé qui a sans doute toujours existé mais qui paraît changer de nature. La vraie différence de perception du monde n'est plus, comme avant (en premier lieu) déterminée par le fait de vivre à la campagne ou en ville, dans le sud ou dans le nord de la France, d'être croyant ou non, riche ou pauvre. On a beaucoup dit que la jeune génération est sans doute la première à avoir le sentiment que sa vie sera plus dure que celle qu'a vécue ses parents. La fameuse génération du baby-boom, celle qui est au pouvoir ou aux portes de la retraite aura été bénie des dieux et vorace. Passée entre les guerres, elle aura grandi en pleine croissance économique, emprunté en période d'inflation, découvert l'amour en pleine libération sexuelle et avant le sida, profité de l'arrivée massive du « confort » moderne que chante Boris Vian dans "La complainte du progrès". Et surtout, cette génération gâtée arrive à l'âge de la retraite à l'heure où il y a encore de bonnes retraites. Pour la première fois, ce sont les enfants qui seraient en droit de se retourner vers leur parents, leur montrer l'état de la planète et des déficits pour leur dire (en parlant au futur) « je n'aurai certainement pas toutes les facilités dont tu as bénéficiées ».

L'âge mûr a peur de la jeunesse.

Comme les bourgeois avaient peur de la plèbe des faubourgs ! Cette peur se traduit par une mise à distance : on le voit dans le monde du travail avec le chômage des jeunes, dans la justice avec la volonté de substituer les juges des enfants par une justice de mineur, comme si l'enfance, l'adolescence était un statut administratif à surveiller plus qu'une période de fragilité à protéger. Devant les débordements de la jeunesse, on ne dit plus « il faut que jeunesse se passe », on n'a plus ce regard bienveillant et nostalgique parce que la peur domine et les images sont crues. La réalité aussi, comme viennent de nous le rappeler les événements de la Courneuve ce week-end ou l'affaire de ce collégien de 5ème qui a poignardé sa prof de math en Haute-Garonne. Mais il faut revoir le film d'Yves Robert : « La guerre des boutons » tourné en 1961. Deux bandes de gamins de deux villages se battent, se harcèlent. On les voit fumer, boire de l'alcool, fouetter leurs prisonniers de la bande adverse. Lebrac, le héraut, est un chef de bande rebelle. Bertrand Rothé, enseignant à Sarcelles, s'est penché sur« la guerre des boutons ». Il en a tiré un roman dans lequel il extrapole tous les petits délits, les bagarres, les dépravations vues dans ce film. Il les transpose à notre époque - pour voir. Et c'est instructif : la machine répressive et ses fichiers et ses contrôles auraient conduit - en 2009 - Lebrac, en détention avant sa majorité.